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Lire au bord du lac d'Annecy
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21 mai 2007

Le bon grain est livresque

Donc, je fais un petit tour de manège pour vous présenter mes lectures du mois. J'ai décidé de reprendre une métaphore empruntée au Nouveau Testament (est-elle présente également dans l'Ancien Testament ? je l'ignore, mais j'attends les réponses des spécialistes qui liraient ce blog...).

> le grain de sable, qui se glisse dans l'itinéraire tranquille de Peter Debauer, héros du Retour de Bernard Schlink (Gallimard), c'est le livre qu'il lit (en partie seulement) un été chez ses grands-parents et qui présente de troublantes coïncidences avec sa propre existence. Ce doute minuscule le conduit à mener l'enquête de sa vie. Il y découvrira le mystère de ses origines et la possibilité d'aimer. Une variation contemporaine sur le mythe d'Ulysse, dans laquelle le héros est tantôt Ulysse, tantôt Télémaque et, qui sait, peut-être même Pénélope... Le livre a été éreinté par la critique allemande, paraît-il, mais moi j'ai beaucoup aimé. Je crois que j'ai d'abord été captivée par l'intrigue et par le jeu littéraireJ de réécriture.

L'extrait qui va vous donner envie de le lire :

"Je m'étais pris d'affection pour lui. Parce qu'il aimait l'Odyssée et qu'il jouait avec son texte. Parce que la lecture de son roman avait été ma première rencontre, et non la pire, avec la littérature populaire. Parce que sa fin ouverte, qui à vrai dire n'en était pas une, avait fait faire des cabrioles à mon imagination. Parce qu'on ne saurait s'occuper aussi longtemps de quelqu'un sans se prendre d'affection pour lui.

Ou le haïr. Même si je n'en étais pas là, sa façon de jouer, qui m'avait plus dans son roman, ne me plaisait plus dans ses lettres et dans ses articles. (...)

Je continuais à vouloir savoir la fin du roman. Si nombreuses que fussent les histoires de soldat rentrant de la guerre que j'avais lues, si nombreuses aussi les suites que je pouvais imaginer aux rencontres du 38 Kleinmeyerstrasse, je n'en voulais pas moins savoir comment l'auteur avait raconté jusqu'au bout la rencontre. Peut-être était-ce un retour qui n'avait encore jamais été raconté, jamais été écrit, jamais encore été pensé. Peut-être était-ce le retour par excellence."

Si vous aimez cet ouvrage, vous aimerez aussi le chef d'oeuvre de B. Schlink, Le liseur ainsi que le très beau roman de R. C. Zafon, L'ombre du vent. Pour un autre genre de variation sur l'Odyssée, lisez Paix à Ithaque du Hongrois Sandor Maraï.

> le grain de folie, je l'ai trouvé dans le premier roman de Jean-Paul Dubois (Robert Laffont) intitulé Tous les matins je me lève. Ce n'est pas récent (1988 mais il a été réédité en Points Seuil récemment). Depuis, l'auteur a enchaîné les succès dont Une vie française. Comme ne l'indique pas le titre, c'est l'histoire d'un type qui n'arrive pas à se lever le matin et ça tombe bien parce qu'il est écrivain, donc il a pleine licence pour organiser son temps. Il consacre donc ses journées à de longues escapades en bagnoles dans sa vieille Triumph avec ou sans épouse et enfants, à de longues discussions avec des potes aussi paumés que lui, à enchaîner les longueurs dans sa piscine de 7 m de diamètre (170 longueurs avec ses lunettes anti-buée), à terroriser les critiques littéraires aigris et à sauver des chiens dans la mer déchaînée au péril de sa propre vie. Et à prendre de bonnes résolutions ! J'oubliais ses nuits passées à sauver de la défaite l'équipe de France de rugby. C'est drôle, loufoque et iconoclaste à souhait... avec un soupçon de mélancolie en arrière-plan : j'adore.

L'extrait qui va vous donner envie de le lire :

"J'ai enfoncé la tête dans l'oreiller. Il n'a pas résisté. Quand j'ai ouvert l'oeil, j'ai essayé de deviner l'heure à l'intensité du jour qui filtrait par le contrevent. J'ai pensé : "Il est dix heures douze." Le radioréveil indiquait douze heures vingt-cinq. Ca m'a mis de mauvaise humeur. D'abord parce que je m'étais trompé, parce que le temps avait filé plus vite que je ne l'avais ressenti et surtout parce que, une fois encore, j'allais me lever tard. Je n'aimais pas ça mais je n'arrivais pas à faire autrement."

J'ajoute l'épigraphe, qui n'est pas de Dubois mais de Cioran et qui donne l'exacte tonalité du livre :

"Si on avait une perception infaillible de ce qu'on est, on aurait tout juste encore le courage de se coucher, mais certainement pas celui de se lever."

Pour prolonger cette lecture, je ne penserais pas à un autre livre mais à un film : Kennedy et moi avec J.-P. Bacri en écrivain ronchon et cynique.

> le grain de beauté se déroule dans la campagne française de 1930. Il s'agit du dernier roman paru d'Irène Némirovsky, Chaleur du sang (Denoel). Déjà, pouvoir lire ce livre et le précédent, Suite Française, tient du miracle : nous le devons au courage et au dévouement des filles de l'auteur qui ont transporté avec elles, de cache en cache, pendant la seconde guerre mondiale, les précieux derniers feuillets de leur mère. Les romans de Némirovsky (ceux que je connais du moins) sont féroces avec tendresse, élégants avec précision, et humains, profondément humains. C'est un délice de s'y plonger et un crève-coeur de devoir les abandonner, surtout quand ils sont inachevés comme Suite Française. L'intrigue de Chaleur du sang est simple, mais difficile à résumer : le roman traite des passions qui peuvent conduire à tout abandonner, à briser autrui pour assouvir son désir, folies de jeunesse qu'une fois devenu vieux, on contemple sans plus les comprendre. Le récit embrasse deux générations, deux époques pour toujours perdues l'une pour l'autre. L'expérience des uns ne sert en rien aux autres. C'est assez bref, mais efficace. On en ressort une fois encore ébloui par les dons d'observation et de conteuse d'Irene Némirovsky.

Pour vous faire sourire, la parfaite description du mariage de province :

"(...) Je revoyais tous ceux auxquels il m'avait été donné d'assister, ces longues ripailles de province, les figures rouges des buveurs, les garçons loués à la ville voisine avec des chaises et le parquet du bal, la bombe glacée au dessert, le marié qui souffre dans ses souliers trop étroits et, surtout, surgis de tous les coins et recoins de campagne environnante, la famille, les amis, les parents, les voisins, perdus de vue parfois depuis des années et qui reviennent tout à coup comme des bouchons sur l'eau, chacun éveillant dans la mémoire le souvenir de brouilles dont l'origine se perd dans la nuit des temps, d'amours et de haines mortes, de fiançailles rompues et oubliées, d'histoires d'héritages et de procès...

Le vieil oncle Chapelain, qui a épousé sa cuisinière, les deux demoiselles Montrifaut, deux soeurs qui ne se parlent plus depuis quatorze ans, quoiqu'elles habitent la même rue, parce que l'une d'elles, un jour, n'a pas voulu prêter à l'autre sa bassine à confitures, et le notaire dont la femme est à Paris avec un commis-voyageur, et... Mon Dieu, quelle réunion de fantômes, un mariage de province !"

Pour clore ce billet, je vous citerai un passage qui parle... de grain !

"-Ah, mon ami, devant tel ou tel événement de votre vie pensez-vous quelquefois à l'instant dont il est sorti, au germe qui lui a donné naissance ? Je ne sais comment dire. Imaginez un champ au moment des semailles, tout ce qui tient dans un grain de blé, les futures récoltes... Eh bien, dans la vie, c'est exactement pareil. L'instant où j'ai vu François pour la première fois, où nous nous sommes regardés, tout ce que cet instant contenait... c'est terrible, c'est fou, ça donne le vertige ! ... Notre amour, notre séparation, ces trois ans qu'il a passés à Dakar, lorsque j'étais la femme d'un autre et... tout le reste, mon ami... Puis, la guerre, les enfants... Des choses douces, des choses douloureuses aussi, sa mort ou la mienne, le désespoir de celui qui restera.

-Oui, dis-je, si on connaissait d'avance la récolte, qui sémerait son champ ?

-Mais tous, Silvio, tous, fit-elle en m'appelant du nom qu'elle ne me donnait plus que rarement. C'est la vie, cela, joie et larmes. Tous veulent vivre, sauf vous."

Bonne lecture,

                                      K*.

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