Sourires et soupirs
Ma petite balade littéraire de ces jours demeurera en lien avec l'actualité. Pour en rire et pour en pleurer...
> la gorge serrée en parcourant le très beau roman de l'auteur suédois Henning Mankell, intitulé Tea-Bag et publié au Seuil. Je connaissais les excellents polars de Mankell (mention spéciale à La lionne blanche et à L'homme qui souriait, mais chacun a ses favoris) et là j'ai découvert une toute autre veine. C'est le roman d'un écrivain engagé, grand connaisseur de l'Afrique, qui plonge son lecteur au coeur d'un monde inconnu et discret, celui des immigrés clandestins. L'histoire met en scène un poète qui publie depuis des années des recueils abscons et autocentrés jusqu'au jour où, par un concours de circonstances, il renoue avec un ancien ami qui lui fait découvrir un univers inconnu, celui des immigrés en Suède. Jesper Humlin doit apprendre à écrire à 3 jeunes filles. Par elles, il en viendra à côtoyer tout un monde de détresse, de solitude, de désespoir, mais aussi d'énergie à survivre, envers et contre tout. A leur charme, à leur force, il est impossible de résister. Le roman est parfois très drôle, notamment quand le narrateur explore la vie du poète, presque caricatural avec ses phobies et ses petites vanités, persécuté par un éditeur qui veut à toute force lui faire écrire un polar, une mère et une compagne qui exigent de lui des enfants et un courtier qui s'ingénie à lui faire croire qu'il n'a pas tout perdu en bourse. On frôle parfois l'absurde. C'est bien plus sombre quand on se plonge dans les souffrances, les récits et les mensonges de jeunes filles chassées par le malheur et la violence de leur pays d'origine. Au terme de leur quête d'une Europe rêvée, elles ne trouvent que des désillusions et une existence à mener dans la crainte permanente d'être arrêtées et reconduites à la frontière. Ce livre a le mérite, une fois encore, de mettre des noms sur les visages anonymes de tant d'immigrés, sur des gens qu'on n'imagine qu'en groupe. Le livre ne verse jamais dans l'angélisme et la béatification des victimes de l'immigration, acculées à l'illégalité et au repliement identitaire pour survivre. Il évite également l'écueil du pathos : le ton reste sobre, le regard lucide mais poignant.
Quelques mots extraits du livre :
"- Moi je t'ai écoutée.
-Tu n'as pas entendu ma voix. Tu n'entendais que la tienne. Tu ne m'as pas vue. Tu voyais une personne qui naissait de tes mots à toi.
-Ce n'est pas vrai.
Tea-Bag haussa les épaules.
-Vrai ou pas vrai, quelle importance ?
-Que va-t-il se passer ?
-On se lève, on s'en va. Tu nous vois partir. On est parties. Voilà. Stockholm est une ville qui vaut les autres, pour les gens qui n'existent pas. Qu'on entrevoit, puis qui s'effacent. Je n'existe pas. Tania non plus. On est des ombres au bord de la lumière. De temps en temps, on tend un pied ou une main, ou un bout de visage à la lumière. Mais on les retire très vite. On est en train de gagner le droit de rester dans ce pays. Comment on va le gagner, je n'en sais rien. Mais aussi longtemps qu'on reste cachées, aussi longtemps qu'on est des ombres et que vous ne voyez qu'un pied ou qu'une main, nous approchons. Un jour nous pourrons peut-être aller dans la lumière. Mais Leïla existe déjà. Elle a trouvé comment sortir du monde des ombres."
> Pour rire à gorge déployée, il faut lire l'hilarant pastiche de Gospé et Sempinny, diplômés de toutes les plus hautes écoles "à l'ouest du Pécos". Il est intitulé Le petit Nicolas, Ségolène et les copains et publié aux éditions du Rocher. L'imitation du petit Nicolas et de ceux qui nous gouvernent est parfaite et les chapitres nous permettent de revisiter agréablement les rebondissements de ces derniers mois depuis le référendum et le départ de Raffarin jusqu'à Noël environ. La caricature, jamais méchante, tombe toujours juste.
L'extrait suivant vous convaincra sans doute. Il est extrait du chapitre "Nicolas est candidat" (aux élections du délégué de classe...)
"François a dit que tous les candidats devaient pouvoir s'exprimer à égalité. Parce qu'il dit souvent que Nicolas et Ségolène sont les chouchous de la maîtresse, même qu'ils sont les premiers de la classe alors qu'il n'y a pas de raison.
Lionel a demandé à prendre la parole et il a fait tout un discours. On n'a pas très bien compris ce qu'il voulait dire, parce que c'était trop compliqué.
Laurent a expliqué que ça lui paraissait normal que ça soit lui, le délégué, parce qu'il avait des "facilités".
Ségolène a dit qu'elle était plus gentille et plus soigneuse que les garçons, et qu'une fille pourrait mieux aider la maîtresse, parce qu'elles se comprendraient.
Jean-Marie a dit que ce serait une catastrophe s'il n'était pas élu délégué, parce que c'était vraiment une dernière chance pour la classe et qu'après ce serait bien trop tard.
Philippe a dit qu'on ne pouvait pas élire quelqu'un qui est toujours au piquet.
Dominique a dit qu'il refusait de se présenter, parce qu'il voulait susciter autour de lui un vaste rassemblement.
José et Olivier discutaient au fond de la classe, pour savoir lequel des deux se présenterait. Finalement, ils ont dit qu'ils seraient tous les deux volontaires pour mieux représenter leur sensibilité.
Jack a promis qu'avec lui la classe serait plus gaie. Même qu'il partagerait ses Malabar.
Alors, Nicolas a levé le doigt pour prendre la parole. Il a dit qu'il avait les meilleures notes, et qu'il courait le plus vite, et qu'il n'allait jamais au coin, et qu'alors il était le mieux placé.
Il a dit à Ségolène qu'il la protégerait, et à François qu'il tiendrait compte de ses conseils. Il a dit que Jean-Marie avait raison, mais qu'il avait trop mauvais caractère, et qu'il veillerait à ce qu'il ne soit pas toujours au piquet. Il a dit à Laurent qu'il aimait les voitures de course, et à José qu'il aimait l'odeur du foin à la campagne. Il a dit à Lionel qu'il était le meilleur au foot, et à Jack qu'il était un artiste. Il a même demandé à la maîtresse pourquoi elle n'était pas directrice. Il n'y a qu'à Dominique qu'il n'a pas parlé."
Je ne résiste pas au plaisir de vous donner le résultat de l'élection : une voix chacun !
Bonne lecture,
K*.