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Lire au bord du lac d'Annecy
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13 juin 2007

Des polars pas très noirs...

Pour celles et ceux qui aiment le suspense et le mystère

pour celles et ceux (mais ils sont plus rares) qui, comme moi, au cinéma, se cachent la tête dans leurs mains, dans le siège ou dans l'épaule du voisin dès que la musique devient inquiétante

qui tremblent de peur rien qu'en regardant Charade à l'Action Ecole,

bref, pour les sensibles, les petites natures et les peureux(ses),

Kalliope, nouvelle détective, a découvert au hasard de ses pérégrinations livresques quelques polars pas trop noirs.

Cela fait longtemps que je veux évoquer cette série romanesque et je n'ai jamais pris le temps ; pourtant je suis devenue une inconditionnelle des romans de Jasper Fforde. Pour l'instant, trois sont sortis en France :

L'affaire Jane Eyre et Délivrez-moi ont paru en poche (10/18), Le puits des histoires perdues est sorti il y a quelques mois chez Fleuve Noir. Je salue au passage le travail de Roxane Azimi qui les traduit en français car j'ai essayé de les lire en anglais et... ça m'a pris un certain temps. L'histoire, difficile à résumer, est à peu près celle-là : dans un monde qui ressemble au nôtre mais qui n'est pas le nôtre (on est aux limites de la science-fiction, mais il ne faut pas se laisser rebuter par l'étiquette) l'héroïne, Thursday Next, détective littéraire, lutte contre des malfaiteurs, seuls ou regroupés dans une association appelée Goliath, qui tentent de s'en prendre aux livres et à leurs habitants. Là, c'est ultra-résumé, mais j'espère que ça vous donnera envie de le lire, car les romans sont surprenants, passionnants, poignants et exaltants. L'ouvrage est totalement inclassable et indéfinissable, mais brillant et inventif. L'auteur a su distiller du suspense, une histoire d'amour et surtout, surtout, il excelle à titiller notre culture littéraire, à semer le doute dans nos souvenirs romanesques et à laisser entrevoir la vie secrète de nos héros préférés une fois le livre refermé. Car le coup de génie de Jasper Fforde (surtout à partir de Délivrez-moi), c'est d'avoir imaginé un univers parallèle, totalement fictif mais parfaitement vraisemblable. Il s'agit de la bibliothèque universelle, que Thursday découvre dans Délivrez-moi et visite de fond en comble dans Le puits... (quoique dans le 3ème, JF commence un peu à s'essoufler et à s'enfoncer dans l'ornière... mais j'ai quand même envie de me lancer dans le suivant). On navigue constamment entre littérature et réalité, entre personnages fictifs, réels ou fictifs au carré et l'on ne s'ennuie jamais. Mon seul regret, c'est de ne pas connaître assez bien la littérature anglaise pour saisir toutes les allusions dont les ouvrages sont truffés, mais l'on trouve beaucoup de plaisir à lire les premiers, peut-être moins "happy few" que le 3ème, même sans cet aimable jeu de piste.

Précipitez-vous donc sur cet ovni littéraire, qui n'a pas vraiment de frères et soeurs, même si le jeu avec la littérature et le lecteur a pu me rappeler deux autres policiers que j'ai beaucoup aimés : Club Dumas d'A. Perez-Reverte et La caverne des idées de J.-C. Somoza. Comme j'ai prêté et sans doute définitivement égaré les 2 premiers de Jasper Fforde, je vous citerai un passage du Puits des histoires perdues : il s'agit du "stage de gestion de la colère" dirigé par Miss Havisham (l'une des protagonistes des Grandes Espérances de Dickens) avec les personnages des Hauts de Hurlevent.

"-Bonsoir, tout le monde, déclara Miss Havisham, et merci d'être venus assister au stage sur la gestion de la colère organisé par la Jurifiction.

Elle s'exprimait sur un ton presque amical, ce qui ne lui ressemblait guère ; je me demandais combien de temps elle pourrait tenir.

-Et voici Miss Next qui assistera à la séance en observatrice. Bon, allez, donnons-nous la main et formons un cercle de confiance pour l'accueillir dans le groupe. Où est Heathcliff ?

-Je ne sais absolument pas où est cette crapule ! clama Linton rageusement. Il est peut-être vautré dans la bourbe, je m'en moque... Que le diable l'emporte, ce ne sera pas trop tôt !

-Oh ! s'écria Catherine en retirant sa main de celle d'Edgar. Pourquoi le hais-tu autant ? Lui qui m'a aimée plus que tu n'as jamais su le faire... !

-Allons bon, interrompit Miss Havisham d'un ton conciliant. Rappelez-vous ce qu'on a dit la semaine dernière à propos des insultes. Edgar, vous devriez vous excuser auprès de Catherine d'avoir traité Heathcliff de crapule, et vous, Catherine, vous avez promis de ne pas parler de votre amour pour Heathcliff devant votre mari.

Ils marmonnèrent des excuses.

-Heathcliff ne va pas tarder, annonça une domestique que je supposai être Nelly Dean. Son agent a dit qu'il avait de la promo à faire. Ne peut-on pas commencer sans lui ? (...)

-Oyez, oyez, fit une voix dans l'ombre.

Le groupe se tut et se tourna vers le nouvel arrivant qui fit son entrée, flanqué de deux anges gardiens et d'un individu qui avait l'air d'être son agent. L'homme était brun, basané et beau comme un dieu. Jusque là, je n'avais jamais bien compris pourquoi les protagonistes des Hauts de Hurlevent se conduisaient quelquefois de façon irrationnelle. Mais maintenant que je l'avais devant moi, tout s'éclaircissait : Heathcliff avait un charisme quasi surnaturel, à vous charmer un cobra d'un seul regard de ses yeux noirs et perçants.

-Heathcliff ! s'écria Catherine, se précipitant dans ses bras. Oh, Heathcliff, mon chéri, tu m'as tellement manqué ! (...)

-Mr. Heathcliff, dit Havisham d'un ton sévère, ça ne se fait pas d'arriver en retard aux réunions ni de narguer ses camarades.

-Au diable vos réunions, Miss Havisham ! s'emporta-t-il. Qui est la vedette dans ce roman ? Qui les lecteurs s'attendent-ils à voir en ouvrant ce livre ? Moi. Qui a remporté le prix du Jeune Premier le Plus Ombrageux pour la soixante-dix-septième fois d'affilée ? Moi. Toujours moi. Sans moi, Les Hauts de Hurlevent n'est qu'une oeuvrette provinciale longue comme un jour sans pain et sans grand intérêt. Je suis la star de ce livre et je fais ce qui me plaît, madame ; allez le dire à l'Homme à la Cloche, au Conseil ou au Grand Manitou en personne, je m'en balance complètement !"

Allez mesdemoiselles, avouez : qui n'a jamais rêvé de voir en vrai, non Heathcliff, mais Darcy d'Orgueils et Préjugés ?

Le deuxième roman est très différent, même s'il a également pour cadre la campagne anglaise. Il est intitulé

Qui a tué Glenn ? a été écrit par une certaine Léonie Swann, traduit par F. Weinman et publié chez Nil Editions. Il possède une particularité charmante qui ne se voit pas sur les photos :

le corps de la brebis est fait d'une petite fourrure toute douce au toucher. So chic !

Un matin, les moutons du troupeau de G. Glenn découvrent que leur berger a été assassiné. Qui a donc a pu commettre ce crime odieux ? C'est ce que nos héros à 4 pattes vont chercher à savoir, en menant une enquête discrète en marge des habitants du village qui ont l'air tous plus louches et suspects les uns que les autres...

Soyons honnête, l'intrigue policière, captivante au début, se révèle finalement bien décevante, mais elle relève plutôt de l'accessoire et du fil conducteur. La grande réussite de l'auteur, dans cet ouvrage original, c'est de nous faire voir le monde par les yeux des brebis et des béliers. Ils ont chacun leur personnalité mais sont tous plus attachants les uns que les autres : il y a Mopple la Baleine, le mouton-mémoire, Zora, Cordélia, Sir Ritchfield, Othello... Chacun a ses talents, ses mystères et le désir de venger un berger qui, malgré sa rusticité un peu brutale et ses trafics pas très clairs, était le seul capable de leur raconter de belles histoires.

Et voici justement l'histoire de la star du troupeau, Miss Maple, la brebis-détective "la plus intelligente du troupeau etc. etc. etc."

"Il y avait très longtemps, à l'époque où Miss Maple n'avait pas encore vu d'hiver, Georges mangeait tous les matins du pain beurré nappé de sirop d'érable. Quand il faisait beau, il prenait son petit-déjeuner dehors, en public, sous les regards envieux de ses moutons. Il installait une petite table branlante devant les marches de sa roulotte. Puis il faisait du café. Ensuite, il apportait l'assiette chargé de tartines. Le temps qu'il retourne activer la cafetière, le pain restait au soleil sans surveillance. Tous les moutons rêvaient de le manger, mais seule Miss Maple savait compter jusqu'à cinquante. Dès que Georges tapait sur le métal du plat de la main, c'était parti. De un à quinze : elle se faufilait vers la roulotte. De quinze à vingt-cinq : elle jetait par précaution un coup d'oeil vers la porte. De vint-cinq à quarante-cinq : elle léchait délicatement le sirop qui recouvrait le pain, si délicatement qu'à la fin il n'y avait pas la moindre trace de langue de mouton. Il fallait aussi veiller à laisser une très fine couche de sirop marron pour éviter que Georges ne remarque quoi que ce soit. De quarante-cinq à cinquante : elle rejoignait les autres en courant et se réfugiait dans le corps laineux de sa mère, qui était un peu honteuse. A cinquante-et-un, Georges sortait de la roulotte, un bol de café brûlant à la main, et commençait son petit-déjeuner.

Un jour, la cafetière cassa. A trente-cinq, Georges se tenait déjà dans l'encadrement de la porte, les bras croisés. Ce jour-là, il lui donna son nom : Miss Maple. Avant même son premier hiver. Les autres furent un peu jaloux et sa mère aussi fière que si elle avait elle-même dérobé le sirop. Quant à Miss Maple, elle se pavana jusqu'au coucher du soleil d'un air distingué parce qu'elle était le plus jeune agneau à jamais avoir été baptisé."

Pour ceux qui veulent découvrir ce qu'on voit du monde, le nez dans les herbes couvertes de rosée, sans que ça vole au ras des pâquerettes !

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